Textes
Que croyons-nous voir et que croyons-nous savoir
de ce qui nous entoure ?
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J’ai toujours été curieuse de comprendre ce qui m’entoure. J’explore les multiples réalités qui cohabitent dans nos esprits, dans la nature, ainsi que dans nos sociétés. Ainsi, j’imagine le monde comme une constellation d’espaces en relation les uns avec les autres, et ce, de différentes manières.
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Mon travail vise à créer des passages, mais aussi à donner forme à ces différents espaces que l’être humain est à même de découvrir ou de concevoir. J’évoque ici la notion « d’espace » au sens le plus large, qui engloberait plusieurs natures et significations. Pour ne citer qu’eux, je pourrais évoquer les espaces architecturaux, illusoires, picturaux, imaginaires, virtuels, sociaux, sémantiques, mythologiques, critiques, fantomatiques, phénoménologiques, textuels, matériels, sensibles, fictionnelles, publics, symboliques, historiques, communs, …
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Ainsi, au travers de tous ces espaces, je m’attache à donner forme et corps à l’invisible, à l’ombre des choses au sens philosophique et symbolique du terme. Comment retranscrire l’essence des choses, des songes ou des besoins sous-jacents ? Comment donner une place à la petite histoire, à l’étrangeté du monde ?
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Considérant la vie comme un voyage, j’intègre tout ce que je rencontre, qu’il s’agisse de personnes, de lieux ou encore d’histoires. Mes influences et intérêts sont variés. Ils passent par bande dessinée moderne et alternative, les romans fantastiques, le cinéma d’auteur et les films de science-fiction et d’animation des années 70, les sciences reconnues et alternatives, dans le graphisme que dans l’histoire de l’art ancien, moderne et contemporain, ou encore la littérature classique, la philosophie, l’histoire, la mythologie et l’anthropologie.
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Mes médiums de prédilection sont la peinture, le dessin, la gravure, l’installation, l’exposition et l’écriture. À l’image du monde, la peinture et le dessin incarnent cette dualité existant entre réel et illusoire. Tantôt en contraste ou en harmonie, ils nous permettent de plonger dans des espaces sensibles de formes et de couleurs ; de représenter ce que l’humain a de plus intérieur ; ou encore de faire ce que la science ne nous permet pas de réaliser. Entre l’abstraction et la figuration, je construis peu à peu mon propre langage et répertoire graphique et pictural. Ainsi, j’explore les caractéristiques plastiques et philosophiques de ces médiums. Je joue avec nos habitudes de lecture des images et je détourne les codes et conventions de plusieurs domaines artistiques.
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Mon travail peut également être observé sous le prisme de la narration et de la science-fiction en particulier. À travers lui, j’élabore un reflet du monde. C’est une manière pour moi d’aborder la réalité sous le couvert de la fiction.
Ma pratique in situ est visible autant dans l’espace public, dans des paysages naturels ou dans des salles d’exposition. Cependant, mes préoccupations restent les mêmes, qu’il s’agisse de compositions autonomes ou de projets in situ architecturaux ou environnementaux. J’utilise le trompe l’œil, le montage d’image et différents ressorts de l’illusion et de la vision pour produire des passages menant vers l’ailleurs.
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Texte de Rébecca Konforti
« Si je suis capable de prendre ainsi en compte la réalité de ce que je suis incapable de percevoir, c’est que je dispose de deux moyens de perception extraordinaires, un pour le temps et un pour l’espace 1. ».
Le travail de Rébecca Konforti nous offre ces deux perceptions à travers « Umbrea Mundi », par la narration et la prise en compte de l’espace. Il s’agit d’un monde créé par l’artiste, similaire au notre par certains aspects, mais qui diffèrent notamment par la forme qui le compose. Le monde des ombres, qu’il faut appréhender non pas de manière ténébreuse mais comme une zone compagne, un double immédiat de l’homme 2., possède sa propre histoire racontée dans Le Bureau des mondes. « Umbrea Mundi » fonctionne comme une métaphore de notre propre monde, une ombre qui serait le prolongement de notre réalité. Il est un moyen pour l’artiste, de manière détournée, d’aborder ce qui nous entoure.
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À travers un judas par lequel nous observons cette autre existence, nous découvrons les paysages et les architectures perpendiculaires d’« Umbrea Mundi ». Une fois entré dans l’espace, le visiteur se situe dans La tour du 4 & 6 rue Rambaud, 34000 Montpellier : ouverture sur l'éther, produite in situ. Elle fait écho aux autres tours réalisées par l’artiste. Ces architectures créent des réseaux, des connexions entre les espaces. Les tours apparaissent dans un lieu (tour de la rue Théodore Verhaegen, 188, Saint Gilles, Bruxelles) pour réapparaître sous une autre forme à Montpellier ; car « Umbrea Mundi » se perçoit d’une multitude de points de vue. La peinture envahit les murs pour ne laisser aucun angle mort jusqu'à se juxtaposer aux autres œuvres présentes. L’aspect vaporeux de la tour nous suggère sa nature sans pour autant se dévoiler complètement. En effet, la technique utilisée par Rébecca Konforti participe à cette apparence éthérée, grâce à la projection de la peinture, comme de la vidéo, suggérant une projection mentale et physique. La tour du 4 & 6 rue Rambaud est en elle-même une forme d’éther, un fluide subtil dont la substance fondamentale est à l’origine de toute création.
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L’espace composé par l’artiste propose des brèches spatiales et temporelles. Elles ouvrent sur Intrication, un enchevêtrement d’espaces qui permet d’explorer les panoramas d’« Umbrea Mundi ». Les cinq pièces d’Intrication, des dessins et gravures, sont davantage figuratives, dans ce sens, elles permettent à l’artiste de questionner les codes du montage de l’image. Pour elle, la narration est la ressource la plus adéquate et pertinente pour interroger notre perception. En parallèle, Rébecca Konforti produit des œuvres qui interrogent l’espace même du dessin grâce à un travail sur le signe à travers Sans titre, une série de quatre compositions. La surface du papier lui permet de construire un espace et de retranscrire ses questionnements à propos du langage de la peinture et du signe. Il s’agit donc d’une imbrication des architectures, des paysages, mais aussi des médiums à travers des dessins, gravures ou monotypes, prolongés par Inclusion #1, #2 et #3. La tour d’Umbrea Mundi, peinture sur papier disposée sur Inclusion #2, est une représentation symbolique de l’aspect modulaire de la tour sur un fond pictural.
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Ces structures en bois sont le reflet palpable, des espaces concret d’« Umbrea Mundi », que l’on peut expérimenter. Ils sont le prolongement des recherches de Rébecca Konforti sur le dessin d’espace et la fragmentation de l’architecture. Inclusion #1, #2 et #3 fonctionnent comme un décor fictionnel dans le réel. Leur statut trouble, entre cimaise d’exposition et élément de mise en scène, leur confère une physionomie multifonctionnelle, que l’on peut appréhender sous plusieurs angles, une caractéristique propre au travail de l’artiste.
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Au sein du FRAC Occitanie, Rébecca Konforti interroge notre perception du réel à travers une narration fractionnée. Son travail investit l’espace de ses œuvres, tout en incluant celles des autres artistes qui peuvent à leur tour devenir des portes sur de nouveaux récits. Le bâtiment est lui-même interpellée, remis en question, il devient le cadre d’une nouvelle perspective. Des espaces dans des espaces symbolise cet éclatement. La peinture, disposée sur le point de fuite de la composition murale de La tour du 4 & 6 rue Rambaud, 34000 Montpellier : ouverture sur l'éther, agit comme un point de convergence et un catalyseur d’espaces. La salle d’exposition fonctionne non seulement à la manière d’une carte heuristique, elle est le reflet d’un cheminement de pensée pour accéder à « Umbrea Mundi », mais aussi une forme de palimpseste. Les murs sont la surface sur laquelle se superposent les couches de peintures, d’œuvres, et de sens, pour créer un réseau infini.
Rébecca Konforti vit et travaille à Bruxelles. Diplômée du DNSEP en 2015 de l’Institut supérieur des arts de Toulouse, elle participe à de nombreuses expositions en France, en Espagne, en Belgique et en Allemagne.
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1. Rosset Clément, Fantasmagories suivi de Le réel, l’imaginaire et l’illusoire, Paris, Éd. De Minuit, 2005, p. 87-88.
2. Rosset Clément, Impressions fugitives : l’ombre, le reflet, l’écho, Paris, Éd. De Minuit, 2004, p.23.
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Texte de Gwendoline Corthier-Hardoin à propos du travail de Rébecca Konforti lors de l'exposition Temps d’un espace-nuit au Frac Occitanie Montpellier. 2018